Taxe ZUCMAN : si l’arbre est le patrimoine et que le fruit est le revenu, le législateur peut-il inventer un fruit virtuel pour générer une récolte fiscale bien réelle ?
Oui, selon ce désormais célèbre rapport du 25/06/2024 conçu par Gabriel ZUCMAN, qui se propose de taxer, sous certaines conditions, un revenu virtuel en vue de générer une taxation globale des milliardaires égale à 2% de leur patrimoine (« With a presumptive income tax, [they] would be presumed to earn a certain fraction of their wealth in income » – p. 22).
Toutefois, un tel projet ne se fera qu’au prix d’une mise sous tension de la notion même de droit de propriété, pierre angulaire de notre Constitution, et des droits et libertés fondamentales qui s’y attachent.
En effet, selon l’article 17 de la DDHC, « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité ». Il en résulte logiquement qu’un impôt peut être considéré comme confiscatoire lorsque l’élévation de son taux oblige le contribuable à amputer son patrimoine pour l’acquitter, son revenu n’y suffisant pas. De ce fait, selon Gaudemet, une imposition confiscatoire porte atteinte au droit de propriété sans être entourée des garanties attachées à la procédure d’expropriation.
Dans ce cadre conceptuel, on comprend que la clé du raisonnement se situe dans la notion de revenu réalisé ou perçu. Car c’est lorsque le montant de ce dernier est inférieur à l’ensemble des impôts dus que, le contribuable devant ponctionner son capital pour payer sa dette fiscale, l’atteinte suprême au droit de propriété – l’expropriation – est matérialisée. Mesurer le revenu réellement perçu par le contribuable est donc essentiel pour déterminer sa capacité contributive, et par suite, une éventuelle atteinte au droit de propriété susceptible de produire une expropriation ouvrant droit à une indemnisation.
Sous cet angle, le rapport ZUCMAN, en créant un revenu virtuel, affiche implicitement un respect de façade du droit de propriété tout en le vidant de sa substance.
En effet, il institue une fiction légale consistant à réputer être un revenu ce qui est en réalité un capital. Brouillant la distinction entre le revenu et la source qui le produit (et donc entre impôt sur le revenu et impôt sur le patrimoine), cette fiction permet à l’État, en rendant inutile la nécessité de déterminer précisément le seuil au-delà duquel une expropriation est caractérisée, de générer d’importantes recettes fiscales en s’affranchissant des contraintes inhérentes au droit de propriété (l’indemnisation des propriétaires expropriés, notamment).
Louable dans ses intentions, le rapport passe sous silence un changement de paradigme dont les conséquences, sur le plan des droits et libertés fondamentales, n’ont pas été pleinement mesurées par son auteur.
L’enfer est pavé de bonnes intentions …