Les juges du Quai de l’Horloge semblent parfois nier discrètement le concept de personnalité morale, et ce, en l’absence de toute fraude et de fondement juridique solide.
En effet, le 19/09/2024*, la Cour de cassation a jugé que « la distribution, sous forme de dividendes, du produit de la vente de la totalité des actifs immobiliers d’une société civile immobilière affecte la substance des parts sociales grevées d’usufruit » ; de sorte que le dividende issu de cette distribution revient, sauf convention contraire, au nu-propriétaire, mais grevé d’un quasi-usufruit.
En filigrane, elle considère que les droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire ne portent pas sur les titres sociaux, mais directement sur l’actif social. Suivant cette logique, il est parfaitement normal que la Cour confonde substance de l’actif social et substance du titre social.
Or, Renaud MORTIER** a pu démontrer que la substance d’un titre social ne peut être que sa valeur nominale, c’est-à-dire la part du capital social incorporée dans le titre. Il en résulte que :
– Tout dividende est un fruit et doit revenir à l’usufruitier, peu importe l’origine de son prélèvement au sein des capitaux propres (résultat, réserves, etc.) ou la nature de l’opération à l’origine du résultat de l’exercice (opération courante ou exceptionnelle) ;
– Seule une opération affectant le nominal des titres sociaux entame la substance de ces derniers (réduction de capital, dissolution, etc.).
C’est donc au prix d’un fâcheux oubli de l’écran de la personnalité morale, dont il résulte une erreur sur l’objet sur lequel porte l’usufruit, que la Haute-juridiction considère que les droits de l’usufruitier et du nu-propriétaire portent directement sur l’actif social.
Ainsi, elle assimile une distribution résultant de la vente de la totalité des actifs d’une société au boni de liquidation de celle-ci, sur lequel la Cour reconnaît de longue date à l’usufruitier un report de son droit sous la forme d’un quasi-usufruit. Si elle peut se comprendre au plan économique, une telle assimilation ne peut être admise au plan juridique : un boni suppose préalablement une dissolution.
Si une distribution de dividendes affecte provisoirement la valeur économique des titres sociaux grevées d’usufruit, elle n’en affecte pas leur substance juridique. Peu importe son montant. Car dans le cas contraire, l’insécurité juridique serait maximale : à partir de quelle ampleur une cession d’actifs sociaux aurait-elle pour effet d’entamer la substance ?
Manifestement, les principes juridiques ont cédé devant l’activisme juridique (ici, la volonté de protéger le nu-propriétaire de mécanismes sociaux vus comme lui étant défavorables). Toutefois, prudence ! Vu sa frilosité sur le quasi-usufruit, les dents de l’administration fiscale pourraient rapidement se mettre à grincer …
*Cass. 3ème civ., 19/09/2024, 22-18687
**MORTIER, KERAMBRUN, « Pourquoi les réserves distribuées sont à l’usufruitier et à lui seul ! »,La Semaine Juridique Notariale et Immobilière n° 37, 11 Septembre 2009, 1264