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Le démembrement de propriété est une technique patrimoniale très usitée par les contribuables mais également étroitement surveillée par l’Administration. Si cette dernière s’est toujours efforcée de remettre en cause de telles structurations en se fondant sur l’abus de droit de …
Le démembrement de propriété est une technique patrimoniale très usitée par les contribuables mais également étroitement surveillée par l’Administration.
Si cette dernière s’est toujours efforcée de remettre en cause de telles structurations en se fondant sur l’abus de droit de l’article L 64 du Livre des Procédures Fiscales[1] , elle change aujourd’hui son fusil d’épaule et prend appui sur l’acte anormal de gestion,[2] comme le démontre un récent arrêt rendu par la Cour administrative d’appel de Douai[3].
Au cas d’espèce, un couple avait créé une SARL aux fins de reprise d’une part d’un fonds rural détenu par le biais d’une SCEA, d’autre part de bâtiments ruraux détenus par l’intermédiaire d’une SCI.
Pour ce faire, la SARL se portait acquéreur d’un usufruit temporaire de vingt et un ans portant sur les parts des deux sociétés, tandis que le couple faisait l’acquisition de la nue-propriété de ces mêmes parts.
En contrepartie de ce schéma, la SARL bénéficiait de vingt et une années de revenus à l’issue desquelles le couple recouvrait la pleine propriété des parts par extinction de l’usufruit[4].
A la suite d’une vérification de comptabilité de la SARL, l’Administration l’informe qu’elle considère que le montage lui conférant l’usufruit temporaire des parts avait été réalisé dans un but exclusivement fiscal, et procède de fait à la reprise des amortissements opérés sur l’usufruit et la remise en cause de la déduction des intérêts de l’emprunt souscrit pour financer l’acquisition.
L’Administration s’appuie sur deux arguments : dans un premier temps, elle considère qu’une telle structuration ne poursuit qu’un but exclusivement fiscal caractérisant un abus de droit, et dans un second temps, elle estime que le couple s’est rendu coupable d’un acte anormal de gestion dès lors que leur pleine propriété future était financée en partie par la SARL qui ne retirait aucune contrepartie d’une telle opération.
La Cour administrative d’appel de Douai conteste cette analyse à double titre.
Concernant l’abus de droit, elle relève que la fraude à la loi n’est pas caractérisée.
L’abus de droit par fraude à la loi nécessite l’utilisation de dispositifs fiscaux à l’encontre de l’intention de leur auteur. Or, en l’espèce, la Cour relève qu’aucune disposition fiscale n’a été détournée puisque le caractère temporaire de l’usufruit acquis par la SARL résulte d’une application littérale d’un article du Code civil, l’article 619 dudit Code.
Sur la question du but exclusivement fiscal recherché par le montage, la Cour relève, à juste titre, que les effets de l’acquisition de l’usufruit temporaire sont identiques à ceux qu’aurait produit une acquisition en pleine propriété, à savoir la déduction des intérêts d’emprunt, la taxation à l’impôt sur les sociétés des résultats de la SCEA et de la SCI, et le bénéfice de l’activité exercée par leur biais.
De plus, il existait au cas d’espèce une préoccupation juridique non négligeable en ce que l’acquisition en pleine propriété des parts de la SCEA aurait fait obstacle à la poursuite de l’activité, le capital de la société mettant à disposition les terrains devant être majoritairement détenu par des personnes physiques en application du Code rural et de la pêche maritime[5].
A titre subsidiaire, l’Administration s’était également fondée sur l’existence d’un acte anormal de gestion pour remettre en cause le montage. Elle estimait que la SARL se serait appauvrie à des fins étrangères à son activité en souscrivant un emprunt dont les bénéficiaires effectifs se trouvaient être les époux nus-propriétaires. La Cour rejette cet argument en précisant que les frais en litiges n’étaient pas dénués de contrepartie pour la SARL dès lors qu’ils entraînaient la perception de revenus pendant une période de vingt et un ans.
L’Administration fiscale ne semble pas prête à cesser de remettre en cause les montages impliquant la technique du démembrement, et elle utilise aujourd’hui un double terrain, celui de l’abus de droit accompagné de l’acte anormal de gestion.
Le contribuable n’est toutefois pas démuni face à ces attaques puisque la jurisprudence conserve fort heureusement une approche réaliste de ces montages et procède à une appréciation casuistique bienvenue face aux velléités de l’Administration.
Il faut enfin relever que le fait d’écarter l’abus de droit ne protège pas de l’acte anormal de gestion en cas d’évaluation erronée des droits démembrés. Face à l’échec de l’abus de droit, l’Administration utilise aujourd’hui un nouvel angle d’attaque, celui de la contestation des valeurs retenues pour l’évaluation respective des droits d’usufruit et de nue-propriété.
En la matière, et pour éviter tout redressement, il est souhaitable que les contribuables s’appuient sur leur Conseil pour procéder à une évaluation rigoureuse de l’usufruit et de la nue-propriété qui devra matérialiser un intérêt économique pour l’ensemble des parties.
La décision rendue par la Cour administrative d’appel de Douai doit alerter les contribuables sur le double angle d’attaque désormais utilisé par l’Administration en matière de démembrement.
Les conséquences de tels redressements seront redoutables, et notamment depuis que la surévaluation de l’usufruit est devenue synonyme de libéralité consentie par la société à son dirigeant, qui sera, en sus de tous les autres postes de redressement possibles, réintégrée à ses revenus personnels sur le fondement de l’article 111 c du CGI[6].
[1] A noter sur ce point que la loi de Finances pour 2019 instaure une nouvelle procédure à l’article L 64-A du LPF, dite du « mini abus de droit » et qui concerne les montages ayant un but « principalement fiscal ». Consulter notre brève sur le sujet, « Réforme de l’abus de droit : vers une insécurité fiscale généralisée ? ».
[2] Un acte anormal de gestion est celui qui est accompli dans l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise ou qui n’apporte à cette entreprise qu’un intérêt minime hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer (CE, section, 10 juillet 1992, n° 110213 et 110214). Consulter notre brève sur le sujet, « L’acte Anormal de gestion ».
[3] CAA Douai, 01/07/2019, n°17DA01029
[4] Article 1133 du Code Général des Impôts
[5] L.411-37 du Code rural et de la pêche maritime
[6] Conseil d’Etat, 28/02/2001, n°199295
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